Quand les premières neiges recouvrent les cimes, le silence s’installe. C’est là que commence pour moi une autre manière d’habiter la montagne. J’enfile mes peaux de phoque, resserre les fixations de mes skis de randonnée, et j’ouvre la voie, parfois dans la lumière dorée d’un matin glacé, parfois dans la tourmente d’un vent cinglant. Mes clients me suivent en file indienne, silencieux, confiants. Là-haut, le monde est réduit à l’essentiel : le souffle, la pente, le ciel. Parfois, on chausse les crampons, on tire une corde, et on grimpe dans le craquement du givre. L’alpinisme hivernal n’est pas pour tous, mais ceux qui y goûtent n’en reviennent jamais vraiment indemnes — dans le bon sens du terme.
Puis vient le printemps, discret, et la neige qui fond lentement libère les sentiers. En été, la montagne change de visage. Elle s’ouvre, elle s’illumine. Je redeviens un nomade des crêtes, un compagnon de cordée, un conteur de sommets. Je guide des pas hésitants sur des rochers chauds, des mains tremblantes sur des prises rugueuses. Il y a l’effort, bien sûr, mais aussi les bivouacs sous les étoiles, les réveils avant l’aube pour attraper la lumière au sommet. Le Mont Blanc, la Meije, les Aiguilles d’Arves… chaque sommet a son histoire, et je suis là pour la raconter — en marchant.
L’été, c’est aussi la rencontre. Avec la faune, furtive, qu’on croise au détour d’un éboulis. Avec les gens, venus parfois de loin, avec leurs rêves de montagne plein la tête. Je les guide, mais souvent, ce sont eux qui me rappellent pourquoi je fais ce métier : pour ce lien, fragile et fort, entre l’humain et le sauvage.
Et quand les jours raccourcissent, que les marmottes rentrent au terrier et que la montagne se referme doucement sous son manteau blanc, je sais que l’hiver revient. Et avec lui, une autre aventure commence.